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Tout le monde connait l’histoire des djihadistes, mais est-ce qu’on connait l’ histoire de ceux qui mènent l’anti-djihad ?
vendredi 3 octobre 2014, par
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Source : http://blogs.reuters.com/great-deba...
Par Karima Bennoune
1er Octobre 2014
Photo : Une militante des droits humains brandit une affiche pendant une manifestation ‘anti-talibanisation’ à Lahore le 19 avril 2007. Reuters/Mohsin Raza
Tout le monde connait l’histoire des djihadistes, mais est-ce qu’on connait l’ histoire de ceux qui mènent l’anti-djihad ?
Pendant que le Conseil de Sécurité des Nations Unies s’en prend à l’entité qui se prétend « Etat Islamique », et que le Président Barak Obama invoque la responsabilité globale des musulmans, beaucoup posent la question : est ce que les gens de culture musulmane s’opposent suffisemment à l’extrémisme.
En réalité, loin des feux des media ils sont des milliers à livrer bataille dans leurs pays, au quotidien, contre ce que le Président Obama a appelé un ‘réseau de mort’.
Malheureusement ce sont les djihadistes qui font la une des media, alors que ceux et celles qui mènent la lutte anti-djihad ne reçoivent que rarement un coup de projecteur. Tout le monde, n’est ce pas, a entendu parler d’Oussama Ben Laden, mais très peu de gens ont entendu parler de ceux qui s’élèvent contre ses successeurs potentiels, dans le monde.
Il y a une longue histoire, peu connue, d’individus courageux, de culture musulmane, qui se sont opposés aux extrémistes.
C’est pourtant exactement ce qu’a fait, dans les années 90, le groupe de femmes connu sous le nom de Rassemblement Algérien des Femmes Démocrates (RAFD – qui signifie Refus en arabe) pendant la ‘décennie noire’ des atrocités commises par le Groupe Islamique Armé ( GIA) et d’autres groupes djihadistes qui livraient bataille à l’état algérien. Selon certaines estimations, cette violence aurait fait jusqu’à 200 000 victimes.
Les manifestations organisées par les femmes de RAFD rassemblaient des milliers de protestataires, malgré le danger. En octobre 1993, quand la violence commença à s’accélérer, elles arborèrent symboliquement des cibles en tissu devant la présidence pour dénoncer les menaces faites aux femmes et aux laïques. Toute la direction du RAFD fut placée sur la liste tenue par les intégristes de personnes devant être mises à mort, mais elles refusèrent de se laisser intimider.
Le lendemain du terrible attentat à la bombe de 1995 dans une rue bondée de passants à Alger, le RAFD organisa une manifestation sur les lieux même de l’attentat. La police leur dit bien que c’était trop dangereux, mais les militantes se rassemblèrent quand même et remplirent le cratère de bombe avec des fleurs. Toujours en 1995, l’organisation de femmes tint à Alger un tribunal symbolique où le FIS (Front Islamique du Salut) était l’accusé. Plus de 900 personnes y assistèrent en dépit des affiches qui menaçaient d’assassiner quiconque s’y rendrait.
C’est par de tels actes que les militantes aidaient à rendre visible et à galvaniser le rejet naissant de la population envers le projet d’Etat Islamique en Algérie. Néanmoins le travail du RAFD ne reçut que peu l’attention internationale.
Pire, cela leur attira parfois les critiques de l’intelligentsia et de la presse occidentales qui laissaient entendre que ses membres étaient non- authentiques et ‘occidentalisées’.
Pourquoi les stigmatiser ainsi ?
L’une des raisons en est que les media occidentaux décrivent souvent le conflit comme étant celui de musulmans extrémistes contre l’occident, alors qu’il s’agit d’une lutte pour les droits humains au sein des sociétés majoritairement musulmanes. Dans le cadre de cette narration, l’opposition à l’extrémisme est étiquetée comme occidentale. C’est entièrement faux.
Selon ce cadre de référence fréquemment utilisé en occident, cela peut apparaître comme un ‘choc de civilisations’. Mais ce n’est pas le cas. C’est un choc d’idéologies – et non pas de civilisations – et il a lieu à l’intérieur même de chaque pays affecté par l’extrémisme.
La bataille médiatique des ‘anti-djihadistes’ est une partie majeure de la lutte contre des groupes comme l’ISIS – tout aussi importante que les batailles militaires. C’est pourquoi la communauté internationale doit mieux faire en ce qui concerne le soutien à ceux qui sont l’équivalent actuel du RAFD, et la reconnaissance du fait qu’ils représentent une voix légitime au sein de leurs sociétés.
Et ils sont nombreux.
A l’intérieur de la zone de danger, l’Organisation pour la Liberté des Femmes en Irak (OWFI) dénonce publiquement l’ISIS et sa campagne génocidaire contre les minorités, ses viols de femmes, l’imposition de codes vestimentaires très stricts pour les femmes, et son ‘marché des concubines’ où, selon les rapports, des femmes et des petites filles sont vendues en esclavage sexuel.
L’OWFI gère une ligne téléphonique d’urgence et même un refuge pour les femmes qui fuient la persécution de l’ISIS.
L’architecte irakienne Yanar Mohammed, une opposante à l’invasion de l’Irak par les Etats Unis, fonda le groupe en 2003 après la chute de Saddam Hussein. Son but était de promouvoir les droits des femmes en luttant pour un Irak laïque et non sectaire. Comme les femmes du RAFD avant elle, l’OWFI reçut des menaces – dans ce cas aussi bien des extrémistes sunnites que chiites. La fondatrice reçut un jour un email dont le titre était : ‘Tuer Yanar’.
En dépit de sa bravoure, Yanar me dit une fois qu’elle n’avait qu’un accès limité aux media occidentaux. Cela fait écho à ce que m’en dit récemment la porte-parole du RAFD Zazi Sadou, à propos de la réaction internationale à leurs efforts : ‘Personne ne voulait nous écouter’. Même aujourd’hui, l’occident n’écoute toujours pas les voix des irakiens qui s’opposent aux extrémistes. Il faut que cela change.
Si la communauté internationale veut que d’avantage d’individus livrent bataille, il faut leur offrir du soutien. Alors que les coffres-forts qataris ont nourri les djihadistes dans toute la région, les groupes laïques qui combattent les islamistes raclent leurs fonds de tiroirs.
Si tout cela n’est pas pris en considération il y a un risque bien réel que les intégristes musulmans – bien dotés en argent, armement, combattants étrangers et brûlante rhétorique religieuse - gagnent les batailles - celle de la propagande et les batailles militaires.
Karima Bennoune est Professeur de Droit International à l’Université de California - Faculté de Droit Davis ( Davis School of Law) ; elle est l’auteur de « Your Fatwa Does Not Apply Here : Untold Stories From the Fight Against Muslim Fundamentalism. »
Traduit de l’anglais par marieme helie lucas