Accueil > fundamentalism / shrinking secular space > UK : Homophobes ou islamophobes ? La spirale de l’incompréhension dans des (...)
UK : Homophobes ou islamophobes ? La spirale de l’incompréhension dans des écoles britanniques
dimanche 5 mai 2019, par
Toutes les versions de cet article : [English] [français]
Homophobes ou islamophobes ? La spirale de l’incompréhension dans des écoles britanniques
mardi 16 avril 2019,
par Sima KOTECHA
Spectator (UK)
Dans les écoles de Birmingham, des livres abordant les relations entre personnes de même sexe ont provoqué un tollé au sein de la communauté musulmane. Un sujet explosif outre-Manche, témoigne un journaliste de la BBC.
L’école primaire de Parkfield est un édifice de brique rouge parfaitement ordinaire situé dans le quartier défavorisé d’Alum Rock, à Birmingham, [deuxième ville du Royaume-Uni]. Elle est aujourd’hui au cœur d’une tempête médiatique provoquée par la décision de la direction d’aborder la question de l’homosexualité avec de jeunes enfants. En tant que correspondant pour la BBC dans cette région, il est intéressant d’observer comment cette affaire a commencé, ce qui s’est passé exactement et dans quelle mesure cette situation met en lumière les profondes divisions de notre société.
Il y a deux mois, une élève, au retour de l’école, résume à sa mère ce que leur professeur leur a appris : ce n’est pas un problème d’être lesbienne. Or la famille est musulmane et considère l’homosexualité comme un péché. Inquiète, la mère se confie à d’autres parents, majoritairement musulmans.
Cette étincelle met le feu aux poudres et le programme No Outsiders [“Pas d’exclus”] ne tarde pas à susciter la controverse. Son objectif était de parler aux enfants, dès l’âge de 4 ans, des couples de même sexe, des notions de diversité, d’inclusion et d’autres sujets de société à travers une trentaine de livres illustrés, dont trois évoquent les couples de même sexe (sans entrer dans les détails de cette orientation sexuelle).
Photo : une manifestation à Parkfield photographiée le 21 mars par une journaliste de la BBC]
Se faire entendre
Sur son site, l’école consacre tout un volet à la “promotion des valeurs britanniques”. Pour la directrice de l’école, Hazel Pulley, et son adjoint, Andrew Moffat, avec lesquels je me suis longuement entretenu, ce programme cherche à inclure et non à diviser. Une opinion qui n’est manifestement pas partagée par tous les parents de Parkfield. Et leur réaction, ainsi que celle de la communauté LGBT, a été explosive.
La polémique, dans laquelle s’est désormais engouffré tout le pays, est alimentée par la colère, la passion et le désir ardent – des deux côtés – de se faire entendre. Certains représentants des communautés musulmane, chrétienne et juive arguent que leurs croyances religieuses doivent être prises en compte et que les jeunes enfants ne devraient pas être exposés à des idées susceptibles d’influer sur leur sexualité. Cette attitude provoque l’indignation de nombreux militants LGBT, qui exigent que leur orientation sexuelle soit respectée au même titre que les différences de religion ou de race, et refusent de fixer un âge limite à ce programme.
Le débat soulève d’épineuses questions pour les écoles concernées, les détracteurs de l’enseignement sur les relations et l’éducation sexuelles et les représentants de la communauté LGBT. Qui est homophobe ? Qui est islamophobe ? Qui est juste ? Qui respecte la loi en vigueur ? Pour certains, la liberté religieuse est synonyme de liberté sur les questions de sexualité. Les soupçons d’homophobie donnent lieu à des accusations de racisme. Et inversement, le fait de demander à une directrice blanche, non musulmane, si elle ne serait pas islamophobe débouche aussi sur des accusations de racisme. Certains homosexuels sont aussi indignés par la couverture de l’affaire que par les questions qu’elle soulève.
La position du député travailliste Lloyd Russell-Moyle il y a quelques semaines, lors des questions au Premier ministre, en dit long sur ce sujet. Ce dernier a épinglé les “intolérants qui ne veulent pas faire de place aux LGBT à l’école”. Pourtant, pour le Parti travailliste – qui cherche à attirer les électeurs musulmans –, la question est extrêmement délicate. La plupart des ministres du gouvernement se sont abstenus de tout commentaire, même si une large majorité de députés (dont des membres du gouvernement) ont voté en faveur des nouvelles dispositions sur les programmes de sensibilisation et d’éducation sexuelle à l’école et leur volet LGBT [dont l’enseignement commencera en septembre 2020].
Pour Amir Ahmed, un représentant des parents en colère, l’homosexualité est immorale – des propos qui nous ont valu de nombreuses critiques de la part de lecteurs et de spectateurs nous sommant d’expliquer pourquoi nous avions offert une tribune à ce discours “homophobe”. J’ai demandé à Amir Ahmed s’il était homophobe. Il a répondu que non, mais qu’il estimait néanmoins que les jeunes enfants ne devraient pas être exposés à des idées que leurs parents jugent inappropriées pour leur âge.
Un peu plus loin dans le même article, un défenseur musulman des droits des homosexuels, Khakan Qureshi, affirmait que “quoi qu’ils en disent”, les parents contestataires tenaient bel et bien un discours homophobe. Pour lui, les opinions des musulmans conservateurs doivent être remises en question dans un pays laïc condamnant clairement la discrimination des minorités. Ce à quoi ses opposants ont déclaré qu’ils n’étaient pas homophobes, mais simplement qu’ils avaient le droit de croire ce qu’ils voulaient, même si cela ne correspondait pas aux valeurs britanniques.
Appel au boycott
La responsable de l’école, Hazel Pulley, m’a clairement dit qu’elle n’était pas islamophobe, mais qu’elle essayait simplement d’enseigner ces valeurs à un âge approprié. Il n’est pas question de sexualité dans ce programme, et elle a le sentiment que dix ans d’efforts ont été balayés “en quelques secondes”. Un appel au boycott de l’école a été lancé et diverses manifestations à ses abords ont été qualifiées par la police de rassemblements non haineux, mais “très limites” à l’encontre des homosexuels.
Dans tout le pays, des groupes LGBT ont pris la défense de Pulley et de ce programme. Des représentants de Stonewall [la plus grande association LGBT] ont déclaré que le but était de parler des familles LGBT à l’école primaire pour lutter contre le harcèlement et la discrimination dans toute la société.
Pour l’heure, le calme est revenu à Parkfield. Les banderoles appelant à “défendre l’autorité parentale” ont été retirées alors que des discussions ont été engagées entre l’école, les parents et le ministère de l’Éducation. Mais le problème pour le gouvernement et la société reste entier : comment aborder un sujet mettant directement aux prises une société libérale avec des croyances religieuses conservatrices – a fortiori lorsqu’il s’agit de l’avenir de nos enfants ?