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Algérie : Les femmes méconnues, mal connues, de la révolution algérienne

jeudi 30 juin 2022, par siawi3

Source : siawi.org

Les femmes oubliées, méconnues, mal connues de la révolution algérienne

Lalia Helal Ducos

intervention au Centre Culturel algérien, à Paris

le 29 juin 22

Merci à Alexandra Dolls pour ce merveilleux film (Les Moudjahidates), pour ces Témoignages si importants.

Je suis invitée à prendre la parole et j en suis très honorée en ce 60e anniversaire de notre indépendance.

J’ai eu le privilège de connaître , de côtoyer certaines combattantes au lendemain de notre indépendance et c’est auprès d’elles que mon militantisme s’est affirmé ;

Aussi je voudrais qu’on ait une pensée pour toutes celles qui ont combattu le colonialisme pour une Algérie souveraine, libre, démocratique et sociale

La résistance des femmes n’a jamais cessé pendant les 132 ans de colonialisme : la génération 1954 n’est pas sortie du néant.

Je voudrais aujourd’hui parler des méconnues , mal connues de l’histoire.

On peut dire qu’aucune femme algérienne n’ignore le nom célèbre de la Kahina ou de Lalla Fatma N’soumer. Celle-ci, à la tête de ses hommes infligea de lourdes pertes au Général Randon.

Le 8 mai 1945 est l’histoire d’ un grand traumatisme de la féroce répression qui s’est abattue sur la population de Setif, Guelma, Kherrata où femmes, enfants et hommes furent massacrés. Est ce qu’on connaît l’histoire de la militante Zohra Reggui ?

Alger Républicain cite un texte de l’ historienne Malika El Korso paru danss la revue El Massadir en 2005 sous le titre « Combats de femmes d’hier et d’ aujourd’hui » qui parle du terrible destin de la militante Guelmiste Zohra REGGUI, surnommée « la martyre oubliée » « la chahida mensiya » . Zohra Reggui se révolta à la suite de l’arrestation de 2 de ses frères qui furent tués, elle fut arrêtée, torturée , défigurée par les coups, le crâne rasé, quand on l’a sortie de sa geole elle arracha le bandeau qui recouvrait ses yeux, cracha son mépris à la figure de ses bourreaux avant d’être transpercée de balles.

Les événements de Mai 1945 ont impulsé 2 organisations féminines : L’Union des Femmes Algériennes (UFA) et l’Association des Femmes Musulmanes Algériennes UFMA.

L’UFA , d’obédience communiste avait pour présidente la doctoresse Garouby Lioubov et comme secrétaire générale Baya Allaouchiche -Jurquet, qui parlait l’arabe, le kabyle et le français et qui eut la responsabilité de créer des comités de quartiers. Je citerai quelques noms parmi les militantes dévouées : Alice Sportisse, veuve d’un communiste fusillé par les nazis, élue députée communiste d’Oran, Lise Oculi, institutrice, Christiane Munoz, Lucette Laribère plus tard épouse Bachir Hadj Ali, Djamila Khellef, Leila Mekki, Abassia Fodhil (première algérienne musulmane membre du Comité central du PCA) qui fut assassinée par l’OAS en 1962) et tant d’autres.

Entre autres actions , l’UFA a soutenu activement les dockers en grève à Oran, qui refusaient de charger les bateaux pour le Vietnam.

La 2e association l’Association des Femmes Musulmanes Algériennes, AFMA, créée par le MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques, de Messali Hadj) avait pour responsables Mamia Chentouf, sage femme, et Nafissa Hamoud, étudiante en médecine. Les mariages, circoncisions étaient souvent l’occasion de propager les idées nationalistes ainsi que la nécessité de lutter contre le colonialisme : les orchestres clôturaient les fêtes par des chants patriotiques.

Femmes nationalistes et femmes communistes se rapprochèrent et menèrent des actions ensemble. Ainsi, le 8 mars 1952, à l’occasion de la journée internationale des femmes, 8000 femmes défilèrent à Oran à l’appel commun de l’AFMA et de l’UFA, bousculant le barrage de police au cri de Vive l’Indépendance.

Chaque 8 mars et ce jusqu’au déclenchement de la guerre, AFMA et UFA menèrent des actions en commun.

Ces associations féminines ont joué un rôle important de sensibilisation, d’éducation politique auprès des femmes opprimées, dépolitisées de la société algérienne colonisée.

Le déclenchement de la guerre a été décidé et préparé par des hommes mais les femmes, jusque là confinées dans la vie familiale, s’engagent spontanément, elles cassent tous les tabous d’une vie traditionnelle.

Les femmes de l’UFA et de l’AFMA rejoignent le Front de Libération Nationale.

Des pionnières, rares lettrées, oubliées de l’ histoire, qui s’investissent au parti du peuple Algérien (PPA) et au Parti Communiste Algérien (PCA) je n’en citerai que quelques unes :

Fatima Benosmane - Zekkal : née en 1928, dès 18 ans, elle a milité au Parti du Peuple Algérien, arrêtée et torturée en 1957. Après 3 ans de prison, elle reprend ses activités politiques. Trilingue, elle a été la 1re des rares speakerines algériennes à L’ORTF . Elle a manifesté pour la démocratie en Algérie même malade, jusqu’à sa mort en Mars1990.

Isa Benzekri : née en 1928, DCD en 2017, fait partie des 1res cellules du PPA, en 47 elle contribue à la création de l’Association des femmes Musulmanes Algériennes ; en 1955 engagée dans la guerre de libération nationale, elle assure le secrétariat du Comité central exécutif, milite directement avec Abane Ramdane qu’elle épouse dans la clandestinité en 1956, en 57 ils ont un bébé, Hassen, le mois suivant Abane part pour la Tunisie et elle ne l’a plus jamais revu !

Nefissa Hamoud - Laliam première doctoresse à prendre le maquis des 1955 et à organiser les départs au maquis. Alors que les instances politiques FLN_ALN ne comptaient aucune femme ; sa candidature au Comité National de la Révolution Algérienne CNRA, proposée par Boumediène, fut rejetée !

A l’appel du FLN en mai 1956 -« l’appel d’Alger »- l’Union Générale des Étudiants Musulmans Algériens, UGEMA, décrète une grève : étudiantes et lycéennes répondent massivement et rejoignent soit les rangs de l’ALN, le maquis, soit le FLN.

Les étudiantes étaient pour la plupart jeunes. Certaines avaient bénéficié d’un environnement familial militant et nationaliste. Les infirmières ou élèves infirmières opérationnelles, rejoignaient le maquis et étaient principalement affectées dans les soins aux blessé.es. Quant à d’autres c’est dans l’action qu’elles apprenaient les soins en aidant les plus confirmées.

La maquis, c’est des marches interminables à travers les montagnes surtout de nuit, c’est le froid, la faim, les bombardements, le manque d’armes, de médicaments, de pansements, d’instruments chirurgicaux etc..et aussi la confrontation avec la mort.

Certaines sont revenues de cette guerre, d’autres y sont mortes. Je ne citerai que quelques « Chahidates » :

Messaouda Bedj : élève infirmière prend le maquis en 1956, elle est tuée en 1958 ; sa sœur Fettouma rejoint le maquis en 1957, elle y meurt en 1959.

Fadhila Saadane : lycéenne, après avoir milité en 1956, arrêtée et relâchée, elle prend le maquis en 58, elle est tuée en 1960 ; quant à sa sœur qui milite à Constantine, elle est arrêtée et meurt sous les tortures.

3 Lycéennes de Sétif, Meriem Bouattoura, Massica Ziza, Malika Kherchi prennent le maquis en 1957 et sont tuées en 1959 et 1960.

Raymonde Peschard : militante communiste , surnommée « Taous », arrêtée alors qu’elle se dirigeait vers la Tunisie avec un groupe de maquisards. Elle insulta les soldats qui avaient tué ses compagnons, ligotée, face à terre, elle reçut une balle dans la nuque à bout portant.

Yamina Cherrad : prend le maquis en nov 1956 jusqu’en 1962, 6 ans sans être arrêtée ou tuée

Zoulikha Benzine-Inal : femmes de lettres, amie de l’écrivain Kateb Yacine et du peintre Issiakhem .

Que seraient devenus ces maquisardes et maquisards sans le soutien des villages, des villageoises qui assurent l’hébergement, les caches pendant les haltes , le ravitaillement et les liaisons. Le plus souvent ces villages sont brûlés pour avoir hébergé les moudjahidates et moudjahidines, et la population massacrée ou évacuée dans des camps de regroupements. Les villageoises, combattantes méconnues, sont nombreuses et leur participation a été essentielle pour la survie de nos combattantes et combattants.

Il faut rendre hommage à toutes ces femmes anonymes, je dis bien anonymes car non répertoriées, elles ne perçoivent pas de pension d’ancien combattant.

Alors que les accrochages se poursuivent, les pouvoirs spéciaux sont adoptés à Paris en 1956, la loi martiale est décrétée en 1957 et Massu est appelé à « pacifier » Alger à la tête de 8000 paras.

La ville est quadrillée , les arrestations massives.

Les femmes sont indispensables dans les actions des villes. Elles réussissent à passer les barrages et contrôles militaires en se déplaçant plus facilement parmi la population civile. Voilées ou vêtues à l’européenne, elles assurent les liaisons, l’hébergement et le transport des armes. Par ex Eliette loup, torturée et incarcérée , Malika Ighilariz, moins connue que Louisa Ighilariz, sachant conduire ,elle assurait les liaisons et les transports dans une voiture américaine et franchissait les barrages les cheveux au vent avec un large sourire : elle fut arrêtée torturée et incarcérée à Barberousse (Serkadji) où son père se trouvait et où la rejoignent sa mère, sa tante et Louisette. ...

Contrairement à ce qu’on a fait longtemps croire , l’attentat de la rue de Thèbes à la Casbah a été l’œuvre des ’ultras’, l’explosion de tout un immeuble a fait plus de 60 morts et des dizaines de blessés parmi les Algériens. En réponse à l’attentat de la rue de Thèbes commis par les ultras, fut organisé le réseau des « fidayates ». Les explosions de bombes frappent l’opinion publique et les médias du monde entier parlent des poseuses de bombes. Nous connaissons toutes et tous les noms de Djamila Boupacha, Djamila Amrane, Zohra Drif ou Djamila Bouhired, la jeune Baya Hocine, mais on entend moins parler de Samia Lakhdari , qui n’a pas été capturée et a été condamnée à mort par contumace. Elle décède en 2012 aussi discrètement qu’elle a vécu.

Yasmina Belkacem : 15 ans, sur sa demande insistante, transporte une bombe qu’elle doit déposer devant le commissariat d’Oued El Fodda, près d’El Asnam : mal réglée, la bombe explose avant l’heure et Yasmina se réveille amputée des deux jambes ; Elle est néanmoins incarcérée sans être appareillée pendant 3 ans. A l’indépendance le gouvernement algérien l’envoie aux USA se faire appareiller, et malgré son handicap elle mène une vie active et participe aux manifestations dans son fauteuil roulant.

La bataille d’Alger a été d’une grande violence (1957) : les cellules clandestines du FLN détruites , les leaders de la Zone Autonome arrêtés (Yacef Saadi) , Larbi Ben M’hidi torturé et « suicidé », Ali -la -pointe refuse de se rendre , sa cache est bombardée, il y trouvera la mort en compagnie de Hassiba Ben Bouali , du petit Omar et de Mahmoud Bouahmidi.

Le témoignage de Djamila Boupacha sur la torture et le viol a fait basculer l’opinion française et internationale ; le livre de Henry Alleg « La question » circule sous le manteau malgré son interdiction en France.

Zohra Drif dit « sans le secours des femmes, l’action de la Zone Autonome n’aurait pu réussir, notamment en ce qui concerne la grève des 8 jours (28janv -7 février1957), pour informer et transmettre les directives ». Zohra Drif a été , je pense, l’une des rares femmes à siéger avec les dirigeants de la Zone Autonome d’Alger .

Les militantes d’origine européenne avaient pour la plupart d’entre elles, une formation politique : leur engagement contre le colonialisme a été tout d’abord dans les organisations féminines avant même le déclenchement de la guerre de libération nationale.

Leur participation à la guerre d’indépendance a été très active, aussi bien dans l’hébergement des militants que dans la liaison et le transport d’armes. Nous les retrouvons aussi parmi les « poseuses de bombes ». Elles ont connu les mêmes épreuves que leur « sœurs » : tortures, emprisonnement et condamnations.

Ne citons que les moins connues : Reine Raffini, Denyse Duvallet, Jocelyne Chatain, Gilberte Taleb Sportisse, la poétesse Myriam Ben , Marylise Benhaim, Colette Chouraqui, Colette Grégoire connue sous son nom de poétesse de Anna Gréki, DCD en 1966.

Dans les récits des cadres dirigeants de la Fédération de France, nous avons un univers principalement masculin et les femmes sont invisibilisées. Cependant des militantes menaient des actions clandestines tels que transports de documents secrets, liaison entre les chefs de la fédération comme Mimi Maaziz, Louisa Maacha, Leila Mekki qui, expulsée d’Algérie, continuera ses activités en France. Yamina Idjeri a déposé une bombe devant la préfecture de Marseille, l’explosion n’a pas fait de victimes mais a eu un gros impact psychologique. Zina Haraigue, ouvrière à l’usine, syndicaliste, activait en faisant des liaisons dès 58 entre Paris, Lyon, Marseille . Elle fut arrêtée en 1960 et a fait partie des « fameuses évadées de la Roquette », avec les camarades des réseaux Jeanson et Curiel : Hélène Cuenat, Joséphine Carré, Didar Fawzi-Rossano, Fatima Hamoud et Micheline Pouteau.

Toute notre reconnaissance à nos camarades du réseau Jeanson Curiel

Il est important de souligner le rôle de la « section des Femmes » à l’initiative de Salima Sahraoui et de son mari Rabah Bouaziz, sous le pseudonyme de Saadia et Lakhdar. Il y avait également Akila Abdelmoumène-Ouared , une autre Djamila Amrane ; des groupes, des sections furent organisés, malgré les réticences des maris, frères même s’ils étaient engagés au FLN . Suite à la participation massive des femmes et des enfants à la manifestation pacifique du 17 Octobre 1961 dont on garde encore les stigmates,il y a eu la manifestation de masse de femmes seules du 20 Octobre 1961, jusqu’au centre de Paris ainsi que celle du 9 Novembre 1961, devant les prisons au cri de ’ Vive l’indépendance’, pour réclamer la libération des détenus qui avaient entamé une grève de la faim.

Ces manifestations en France ont donc eu lieu presque un an après la manifestation gigantesque du 11 Décembre 1960, au moment où la « question algérienne » est discutée à l’ONU.

S’il y avait un doute sur l’engagement de la population à la guerre de libération nationale, la manifestation du 11 décembre 1960 où on a vu des cortèges formés principalement de femmes et d’enfants envahir les quartiers d’Alger - centre, et d’autres villes , ces manifestations ont démontré l’adhésion totale d’un peuple et sa détermination pour son indépendance.

Il me semble important de reconnaître la continuité entre les combattantes de la lutte de la guerre de libération nationale et les femmes qui, aujourd’hui, exigent un état de droit où l’égalité F/H serait enfin reconnue.

Je termine par un constat de Fatima Benosmane « il y a une faute que nous avons faite, nous les militant.es , nous n’avons pas essayé d’expliquer ce qu’a été la guerre de libération, c’est une grosse lacune, nous ne leur avons rien donné pour sauver nos acquis »

Ensemble nous comblerons cette lacune et j’espère y avoir contribué ce soir. Que vive l’Algérie indépendante , une Algérie que nous voulons souveraine, démocratique et sociale.

Les livres et documents sont une force pour les algériennes qui doivent s’approprier leur histoire.

Mes reférences :

« Les femmes algériennes dans la guerre d’Algérie » de Djamila Amrane , thèse universitaire soutenue en 1988

« femmes algériennes » de Baya Allaouchiche -jurquet 2007

MaliKa El korso : La revue El massadir