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Homa Hoodfar, détenue à Téhéran, épine dans les relations entre le Canada et l’Iran
mercredi 21 septembre 2016, par
L’universitaire franco-candienne Homa Hoodfar, installée à Montréal depuis 30 ans, anthropologue et féministe est détenue en Iran depuis le mois de juin 2016. L’Iran argue de son bon droit en disant ne pas reconnaître les doubles nationalités.
(Photo : Courtesy of Amanda Ghahremani via AP)
Alors que le Canada de Justin Trudeau a annoncé vouloir reprendre des relations diplomatiques avec l’Iran interrompues depuis 2012, ce désir pourrait bien être contrarié par la mise aux arrêts et au silence à Téhéran d’une anthropologue canado-irlando-iranienne retournée en juin 2016 dans son pays d’origine, et dont trop peu de personnes semblent se soucier.
Mise à jour 20.09.2016 à 14:03
par Catherine François
Homa Hoodfar est professeure émérite de Concordia, université anglophone réputée de Montréal. C’est une Canadienne d’origine iranienne installée à Montréal depuis 30 ans et une anthropologue féministe reconnue qui s’est spécialisé dans les questions d’égalité homme-femme au sein des communautés musulmanes. Mais voilà : depuis le 6 juin 2016, elle est détenue à la prison d’Évin à Téhéran, où elle visitait des proches et faisait, aux dires de sa famille, des recherches d’archives à la Bibliothèque parlementaire de la capitale iranienne.
Elle a été arrêtée une première fois en mars 2016, puis relâchée sous caution mais soumise par la suite à d’intenses interrogatoires qui auraient été menés par des gardiens de la Révolution. Le gouvernement iranien l’a accusée de mener des activités subversives en se livrant à de la propagande contre l’État iranien et en collaborant avec des États hostiles à Téhéran. Le procureur général de Téhéran a précisé que ces poursuites étaient liées « à son engagement dans des domaines concernant le féminisme et à des infractions liées à la sécurité nationale ».
Mobilisation (pas assez) générale pour réclamer sa libération
Rapidement, la famille d’Homa Hoodfar a tiré la sonnette d’alarme auprès des médias et du gouvernement canadien pour la faire libérer. Cet été, on s’est beaucoup inquiété de son état de santé qui s’est détérioré, nécessitant son hospitalisation – elle souffre d’une maladie neurologique dégénérative et doit prendre une médication spécifique. Une pétition lancée par Amnistie International est en cours pour réclamer sa libération. « Homa Hoodfar est une prisonnière d’opinion et a été emprisonnée à cause de son travail sur les droits des femmes, ce qui est inadmissible. Nous documentons depuis le début de 2016 une intensification de la répression envers tous ceux et celles qui défendent les droits des femmes en Iran. Il est important de faire connaitre et de dénoncer cette répression et de libérer les personnes qui sont arrêtées » déclare Béatrice Vaugrante, directrice, section Canada francophone d’Amnistie internationale.
Le 14 septembre 2016, 22 ex-rapporteurs de l’ONU sur les droits de la personne ont émis un communiqué réclamant la libération immédiate d’Homa Hoodfar, s’inquiétant de la détérioration de la santé de la féministe et dénonçant le fait que l’Iran ne respecte, en maintenant cette femme en prison, ni ses propres lois, ni les traités internationaux sur les droits de la personne. Ces rapporteurs espèrent faire pression sur les autorités iraniennes alors que s’est ouverte le lundi 19 septembre 2016 à New York la 71e Assemblée générale de l’ONU. A l’occasion de cet événement, le Canada espère bien renouer des relations diplomatiques interrompues depuis 2012 avec l’Iran redevenu persona grata sur la scène internationale. L’affaire Homa Hoofdar pourrait-elle être évoquée entre les deux Etats ?
Les semaines, les mois passent et rien ne bouge. La professeure serait confinée à l’isolement dans une cellule. On ignore si elle a accès à des médicaments. Les Iraniens lui ont retiré son avocat. Et il est bien difficile de savoir ce qu’il se passe réellement dans cette prison qui a une sinistre réputation. Rien de très rassurant…
Homa a maintenant passé plus de 100 jours en isolement à la prison d’Evin de Téhéran et non, il n’y a pas eu de conférence de presse et je n’ai pas entendu son nom prononcé par mon premier ministre
Geneviève Rail, professeure, collègue de Homa Hoofdar
Le fantôme de Zahra Kazemi
Toute cette sombre histoire n’est pas sans rappeler celle de la photographe canado-iranienne Zahra Kazemi qui avait elle aussi été arrêtée en Iran et qui est morte dans cette même prison. Elle y aurait été torturée et violée. C’était il y a 13 ans, mais les Canadiens n’ont pas oublié… « Nous avons terriblement peur, nous nous souvenons de ce qui est arrivé à Zahra Kazemi » a déclaré Amanda Ghahremani, la nièce d’Homa Hoodar qui sert d’interlocutrice avec les médias.
Le régime iranien avait aussi arrêté un journaliste du Washington Post, Jason Rezaian, en juillet 2014, pour des motifs similaires. Il a finalement été relâché 18 mois plus tard.
Selon plusieurs analystes, ces arrestations trahissent la volonté de durcissement d’un régime qui n’a pas digéré l’élection d’un président modéré, Hassan Rohani, il y a trois ans. Une sorte de bras de fer entre le guide suprême, l’Ayatollah Khameini et ses gardiens de la révolution, et une classe politique modérée et réformatrice qui cherche à renouer des liens diplomatiques avec plusieurs pays occidentaux dont les États-Unis et le Canada.
L’arrestation de Homa Hoodfar s’inscrit dans le cadre de la répression accrue visant ceux qui défendent les droits des femmes en Iran
Béatrice Vaugrante - Amnestie Canada
Homa Hoodfar serait-elle l’une des victimes de ce conflit politique interne ? « L’arrestation de Homa Hoodfar et les accusations liées à la sécurité nationale portées à son encontre s’inscrivent dans le cadre de la répression accrue visant ceux qui défendent les droits des femmes en Iran, précise encore Béatrice Vaugrante d’Amnestie Canada, section francophone. Depuis le début de l’année 2016, les autorités iraniennes ont intensifié les mesures d’intimidation et de harcèlement dont font l’objet les personnes militant en faveur des droits des femmes dans le pays, et assimilent de plus en plus les initiatives collectives ayant trait au féminisme et aux droits des femmes à des activités criminelles. Depuis janvier 2016, plus d’une dizaine de militants pour les droits des femmes à Téhéran ont été convoqués pour des interrogatoires longs et intenses par les gardiens de la révolution et ont été menacés d’être emprisonnés pour des accusations liées à la sécurité nationale. Et oui, clairement, la terrible histoire de Zahra Kazemi plane dans ce dossier ».
Un dossier pris très au sérieux par le gouvernement canadien
C’est pourquoi le gouvernement canadien, qui a très clairement exprimé récemment sa volonté de reprendre ses liens diplomatiques avec l’Iran, prend très au sérieux toute cette histoire. « Nous pensons effectivement que le gouvernement canadien est préoccupé par cette situation et agit au mieux, affirme Béatrice Vaugrante. Certainement le fait de ne pas avoir d’ambassade ne facilite par les communications diplomatiques et ils font face à de sérieux obstacles pour faire pression sur les autorités iraniennes. Il faut que l’Europe agisse aussi au plus urgent et au mieux car Homa est également Irlandaise ».
Mais quel est le rapport de force ? Sur quel levier le gouvernement canadien peut-il peser pour obtenir la libération d’Homa Hoodfar ? Quel sort attend cette femme de 65 ans à la santé fragile reconnue pour la qualité de son travail sur la place de la Femme dans la société musulmane ?
Un signe encourageant cependant : le 12 septembre 2016, Amnesty International annonçait que Bahareh Hedaya, militante des droits humains, détenue depuis 7 ans dans cette même forteresse d’Evin, venait d’être libérée. Son mari Amin Ahmadian a indiqué sobrement sur les réseaux sociaux : « cette nuit, cette nouvelle que nous attendions depuis sept ans est tombée, celle que Bahareh était libre »…