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Féminisme, Activisme et le Printemps arabe
vendredi 7 février 2014, par
Source : http://www.clarionproject.org/analysis/dr-grami-feminism-activism-and-arab-spring
VOIX ALTERNATIVES DANS LE MONDE MUSULMAN
Dr. Grami : Féminisme, Activisme et le Printemps arabe
Une interview de l’universitaire tunisienne connue et militante des droits des femmes : Dr. Amel Grami.
pAR ELLIOT FRIEDLAND
4 février, 2014
La Dr. Amel Grami est une professeure à l’Université de Manouba, Tunisie. Comme détentrice d’un doctorat, elle a soumis une thèse sur les études de genre intitulé, « Le phénomène des différences dans la civilisation islamique arabe : Causes et implications » en Tunisie en 2004.
La Dr. Grami enseigne un style social/ une classification genre, l’histoire des femmes et les études islamiques et a apporté maintes contributions à des séminaires internationaux et des tables rondes aux US, en Europe et dans des pays arabes. Elle écrit sur le site internet et est chargée du programme de traduction de travaux intellectuels et de civilisation dans le Centre national tunisien pour les traductions. La plupart des publications du Dr. Grami au centre traite d’études de genre et de questions islamiques.
Le collègue du projet de recherche de Clarion Elliot Friedland, a interviewé la Dr. Grami sur le Printemps arable et son militantisme pour les droits des femmes.
Projet Clarion : Quand avez-vous été impliquée pour la première fois dans le militantisme des femmes ?
Dr. Amel Grami :
Quand j’étais étudiante, j’ai été influencée par la littérature féministe de beaucoup d’écrivaines comme Simone de Beauvoir, Nawal Al-Sadaoui, Ghada Al-Suman, Assia Djebbar ….J’avais aussi une préoccupation plus générale pour les gens marginalisés et leurs moyens de résistance au « bas niveau » de l’action politique. Plus tard, j’ai commencé à attacher mon attention au mouvement global des femmes, et puisque le militantisme est défini comme « quiconque qui accède aux ressources que lui ou elle possède comme individu au bénéfice du bien commun, » j’ai décidé d’écrire, de donner des conférences et d’enseigner les questions en rapport avec la domination, les sociétés patriarcales, la violence contre des militants et les stratégies de résistance.
Adopter une position courageuse en écrivant, participer à beaucoup de colloques dans beaucoup de pays et faisant partie de beaucoup de réseaux (tunisien, iranien, marocain, libanais, libyen, etc.), m’ont aidé à comprendre les théories du militantisme, à comparer les expériences et connaissances des femmes et comment développer les outils de la militance et le renforcement des femmes.
A mon avis, la militance est un long voyage, c’est un style de vie et une lutte de tous les jours en soutenant des groupes marginalisés comme les minorités religieuses, les communautés de gays, les femmes battues, etc.
Clarion : Où étiez-vous quand le Printemps arabe a débuté ? Vous souvenez-vous de vos premières réactions ?
Grami :
J’étais à l’université prenant part à un débat important avec des étudiants au sujet du soulèvement dans le sud du pays. Ils voulaient organiser une marche, certains professeurs essayaient de convaincre les étudiants d’attendre jusqu’à ce que les syndicats des travailleurs prennent la décision. Finalement, nous avons décidé de bouger et d’exprimer notre colère. Cela a été une mobilisation de masse informelle et pas une action non-institutionnalisée. La fusion des masses sous un seul sentiment était magnifique.
Ma réaction initiale a été de soutenir les jeunes dans leur volonté d’organiser des manifestations. Je me sentais très fière du processus d’autodétermination des citoyens de réaliser une nouvelle conscience et sensibilité. On n’était plus victimes d’un régime autoritaire et patriarcal. C’est pourquoi les gens sont vus comme les agents de changement les plus importants, plus importants que des organisations formelles ou un militantisme d’actions collectives. Pendant le soulèvement, j’ai participé à de nombreux débats à la TV et j’ai largement publié sur le soulèvement dans les médias locaux et internationaux.
Clarion : Trois ans après le commencement du Printemps arabe, êtes-vous optimiste pour les progrès des femmes dans les pays arabes ?
Grami :
Les femmes étaient à l’avant-garde au début du Printemps arabe ; elles étaient très visibles. Néanmoins, après la révolution, elles se sont retrouvées marginalisées. Même si les femmes participaient activement dans les manifestations, elles étaient fortement sous-représentées dans les rôles de dirigeants.
En même temps que l’optimisme, il y a eu des menaces d’un contrecoup contre les droits des femmes, qui ont rapidement émergé après la chute des vieux régimes dans plusieurs pays arabes. En Libye, par exemple, parmi les premières déclarations de la nouvelle tête du gouvernement de transition il y avait la restauration de la polygamie et l’affirmation de la primauté de la loi de la Charia. Ceci a invité certains observateurs à tracer des parallèles pessimistes entre le Printemps arabe et les reculs des droits des femmes à la suite de la chute de régime dans d’autres pays comme la révolution iranienne de 1979.
Le rôle de la religion dans les sociétés a augmenté. Dans un contexte de polarisation, les droits des femmes sont devenus une partie du jeu politique alors que des groupes les utilisent comme outil pour plaider soit pour l’islamisme soit pour le libéralisme, pour répondre à l’idéologie politique de leur opposition, tandis que l’égalité de genre, les droits des femmes, l’égalité et la justice ne sont ni intégrés ni internalisés par les structures et leurs programmes de travail.
Nous sommes, en effet, confrontées à une montagne de craintes, mais ce qui est important, c’est que les femmes sont prêtes à les contrer. Elles sont en train de construire des identités nouvelles et de négocier une présence nouvelle dans des endroits où elles avaient été invisibles avant. Les femmes en Tunisie et en Egypte ont joué un rôle important dans le débat de leurs droits constitutionnels ; leur mobilisation et leur organisation dans le processus de transition sont visibles.
Malgré toutes les souffrances que les politiques d’islamisation ont causées aux femmes, les Islamistes n’ont pas réussi à briser la résistance des femmes. Je crois que les femmes sont « en train de faire » leur propre histoire, mais qu’elles le font dans des circonstances « données », qui ne sont pas leur propre choix, ce qui pourrait être en soi un problème à discuter.
Je crois que les femmes arabes ont besoin de comprendre les dynamiques nouvelles et de construire des ponts entre les différents joueurs, la jeunesse, des groupes progressistes, les militants des droits humains, de l’égalité, de la justice et de la liberté afin de construire de bonnes connexions avec des gens de perspectives et d’horizons différents, ainsi que d’adapter plus de gens autour des droits des femmes et les questions de genre. Nous devons adapter notre langage, nos stratégies, nos outils et nos tactiques pour viser les besoins et les préoccupations des populations visées et créer le changement auquel nous aspirons.
Clarion : Quels sont les défis principaux auxquels vous êtes confrontée comme féministe en Tunisie ?
Grami :
Il n’est pas facile de faire des jugements et de prendre position dans la situation actuelle. Les structures de pouvoir sont complexes. Les femmes paient souvent un prix pour leur participation politique, ce que les hommes n’ont jamais à faire. Elles pourraient être obligées de devenir « des hommes honoraires » pour rester honorables et publiques. Elles peuvent se sentir obligées d’être plus éthiques que la plupart des femmes. Elles pourraient être confrontées à une qualification sexuelle ou politique si elles soulèvent des questions féministes.
Comme militante, je suis confrontée à certains défis concernant ma réputation et ma vie. J’ai reçu une menace de certains extrémistes cherchant à intimider et à réduire au silence les femmes qui défendent leurs droits, leurs libertés, leur liberté de religion et qui présentent une interprétation nouvelle du Coran. A partir d’une perspective académique, je suis en train de réfléchir profondément comment faire le pont entre les divisions des théories et des pratiques.
Clarion : Maintenant que vous êtes au Caire, quelle est votre perception du traitement des femmes ici ?
Grami :
Les femmes égyptiennes sont plus optimistes. Certaines ont ôté leur voile, mais beaucoup sont menacées d’exclusion et de harcèlement sexuel...Elles accomplissent des rôles émotionnels importants et aident à créer la solidarité sociale. Elles s’organisent elles-mêmes, songeant à comment des mouvements progressistes pourraient les incorporer à la fois comme participantes actives et les sujettes du discours au centre de leur vie politique. Les questions suivantes sont posées : les mouvements de femmes doivent-ils être indépendants des mouvements progressistes, nationalistes et de libération afin de défendre avec succès leur propre cause ? Comment les femmes peuvent être vues comme politiques et devenir des agents de changement ? Par les états et les dirigeants, par des mouvements sociaux et/ou par les femmes elles-mêmes ?